Un salarié peut-il être licencié pour un fait relevant de sa vie personnelle ?
Le salarié, en tant qu’Homme et citoyen libre, a droit au respect de sa vie personnelle au sein de l’entreprise comme en dehors de celle-ci : choix du domicile, opinions syndicales ou politiques, secret des correspondances… Ces libertés individuelles ne peuvent être restreintes par l’employeur que si l’intérêt légitime de l’entreprise l’exige et, dans ce cas-là, la restriction doit être proportionnée au but recherché[1].
L’employeur ne peut donc s’immiscer dans le domaine de la vie personnelle de son salarié. Mais lorsque le salarié adopte un comportement répréhensible ou nuisible à l’entreprise en dehors du temps et du lieu du travail, faut-il considérer que cela relève de sa vie privée et échappe, par conséquent, au pouvoir disciplinaire de l’employeur ?
En principe, l’employeur ne peut utiliser son pouvoir disciplinaire pour sanctionner un fait tiré de la vie personnelle du salarié[2]. Mais cette « immunité disciplinaire » du salarié n’est pas infaillible…
Le licenciement disciplinaire pour un fait de la vie personnelle en lien avec le travail
Lorsque les faits commis par le salarié sont liés à son travail, soit parce qu’ils se rattachent à sa vie professionnelle, soit parce qu’ils caractérisent un manquement aux obligations contractuelles, l’employeur peut retrouver le droit de prononcer une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement disciplinaire.
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Les actes de la vie personnelle se rattachant à la vie professionnelle
La distinction entre vie personnelle et vie professionnelle s’avère assez délicate. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la notion de « vie personnelle » va bien au-delà la simple vie privée. Elle l’englobe, mais comprend également toutes les activités publiques que le salarié peut entreprendre à titre personnel (mandats syndicaux ou politiques, responsabilités associatives…).
Un acte du salarié peut donc être de nature personnelle mais tout de même être lié la vie professionnelle parce qu’il s’y rattache (frapper un collègue en dehors du temps et lieu de travail par exemple) : une telle situation pourrait justifier un licenciement disciplinaire.
Par exemple, le fait de proférer des injures racistes à l’égard d’un membre du personnel et de violer l’interdiction de fumer dans l’entreprise se rattache à la vie professionnelle, quand bien même ces agissements ont lieu en dehors du temps de travail[3].
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Le manquement du salarié à une obligation découlant du contrat de travail
L’immunité du salarié pour les faits commis dans le cadre de sa vie personnelle tombe également si son comportement constitue un manquement à une obligation du contrat de travail.
En effet, même en dehors du temps et du lieu de travail, le salarié reste soumis à certaines obligations envers son employeur. Il s’agit en particulier de ses obligations de loyauté et de sécurité.
Par exemple, un tel licenciement a été validé pour un stewart qui, après avoir consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols, se trouvait sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions. En conséquence, il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail en matière de sécurité et avait ainsi fait courir un risque aux passagers[4].
Le licenciement non disciplinaire justifié par le trouble causé à l’entreprise
Les actes tirés de la vie personnelle du salarié peuvent, en dehors de tout comportement fautif, justifier un licenciement personnel non disciplinaire si l’employeur démontre l’existence d’un « trouble objectif » causé à l’entreprise par le comportement du salarié.
Pour apprécier ce trouble, les juges tiennent compte :
- de la nature des fonctions occupées par le salarié(le comportement perturbateur est généralement plus facilement constaté pour un cadre que pour un employé),
- de la « finalité propre » de l’entreprise (son objet social, son activité),
- des conséquences que les agissements du salarié peuvent avoir à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise (répercussions auprès des collègues, de la clientèle, des investisseurs…).
Quelques exemples :
Trouble objectif reconnu |
Trouble objectif non reconnu |
– le fait, pour un cadre commercial d’une banque, pourtant tenu d’une obligation particulière de probité, d’avoir créé un trouble caractérisé à l’entreprise par sa condamnation pour délits d’atteinte à la propriété d’autrui[5].
– le fait, pour un agent de surveillance d’une entreprise de gardiennage, d’avoir commis un vol à l’étalage au préjudice d’un client en dehors de ses heures de travail[6].
– Le fait, pour un directeur de centre d’hébergement de personnes protégées, d’avoir été mis en examen pour attentat à la pudeur sur mineur, ce qui a jeté un discrédit sur l’établissement qu’il dirigeait et sur l’association qui l’employait[7]. |
– le fait, pour un salarié travaillant dans une banque, d’être constamment endetté[8].
– le fait, pour une secrétaire d’un concessionnaire Renault, d’avoir acheté son véhicule personnel chez le concurrent Peugeot[9].
– le simple fait qu’une salariée entretienne une liaison avec un autre salarié de l’entreprise[10].
– le fait, pour un surveillant d’immeuble, lui-même locataire dans la résidence, de s’être pris de querelle, pendant un congé de maladie, avec un autre locataire pour un problème de voisinage[11]. |
En tant qu’employeur, vous devez être très vigilant avant d’engager une procédure de licenciement à l’égard d’un salarié qui aurait commis, dans le cadre de sa vie personnelle, des actes potentiellement répréhensibles à votre entreprise. Le conseil et l’accompagnement d’un avocat en droit du travail est fortement recommandé pour éviter les risques de litige.
[1] Article L. 1121-1 du Code du travail
[2] Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-45.256
[3] Cass. soc., 16 octobre 2013, n° 12-19.670
[4] Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19.915
[5] Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918
[6] Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 89-44.605
[7] Cass. soc., 21 mai 2002, n° 00-41.128
[8] Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-43.540
[9] Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517
[10] Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-41.140
[11] Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-45.473
Bonjour,
Que faire quand c’est l’employeur qui se livre à des comportements inappropriés sur le lieu de travail? En l »espèce, il s’agit de mon employeur, qui entretient une relation amoureuse dans les locaux de l’entreprises, et que j’ai surpris avec une femme sur les genoux en salle de réunion pendant les heures de travail. Il a reçu plusieurs fois cette femme avec qui il s’enfermait dans un bureau désaffecté, se rendant indisponible au personnel comme aux clients.
Il m’a récemment gratifié d’une importante prime exceptionnelle, non motivée, soumise à aucun critère d’objectifs préalables, et que je soupçonne d’être un moyen d’acheter ma complaisance. C’est très perturbant pour moi qui suis aux premières loges en ma qualité d’adjoint de direction, offensant, et indécent envers tout le personnel. La jurisprudence décrit bien ce qu’il en coûte à un salarié se livrant à de tels comportements, mais quand c’est le patron, cela semble être silence radio?
Merci de votre attention.